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Pas de "bascule" : ni pour les Petits ni pour les Grands !

C'EST aussi PARCE QUE NOUS N'IMAGINONS PAS DE VOIR JOUER DES ENFANTS DANS UN CENTRE DE RETENTION DERRIERE DES BARBELES QUE NOUS MANIFESTERONS CE SOIR EN SILENCE PLACE ROYALE A 18 HEURES

 

 

ILLUSTRATION : Lire "Les Infos de Ploërmel

 Infos de Ploërmel

Familles de sans papiers
"C'est où chez nous, maintenant ?"
Juste au bout de la route : il y a quelques mois, ouvrait le centre de rétention administratif de Saint-Jacques-de-la-Lande (35). Une structure où sont enfermés des étrangers sans papiers... et leurs enfants. Ils viennent de toute la Bretagne, tout comme les citoyens qui les aident et que nous avons rencontrés.
 
© Fanny Lancelin
 
Absurde. Ils ont l’air totalement absurde, ces deux petits chevaux de plastique sur lesquels aiment se balancer les enfants. Mais que font-ils là ? Que font-ils loin des cours d’écoles, loin des parcs emplis d’arbres et de fleurs ? Que font-ils au milieu du béton, dans ce décor carcéral, derrière une double rangée de grillages et de barbelés ? Ils attendent des petits garçons et des petites filles. Car dans le centre de rétention administratif où sont enfermés ces jeux, près de Rennes, on enferme aussi des enfants. Leur faute : faire partie d’une famille étrangère en situation irrégulière. Comme Moussa qui, avec ses parents et sa sœur Youna, a été retenu une semaine : « Des “retenus”, c’est comme ça qu’on nous appelle, comme les nombres que l’on reporte dans la colonne suivante en calcul à l’école (…). Dans la cour, il y a des petits chevaux montés sur des ressorts, comme dans la cour de récré. On n’est pas montés dessus, car ce n’était pas drôle. »
Face à ce grillage que mon regard peine à traverser, je comprends à quel point un enfant peut perdre toute joie de vivre dans cet endroit… A mes côtés : Nathalie M’Dela-Mounier et Carole Bohanne, les “mères” de Moussa et Youna : les deux petits Africains sont en effet les personnages d’un livre intitulé “C’est où chez nous ?”, paru aux Oiseaux de papier, la maison d’édition de Ploërmel. Un livre que les deux femmes ont écrit pour dénoncer les conditions bien réelles dans lesquelles vivent les enfants retenus. Elles me font découvrir le centre de rétention breton flambant neuf, qui a ouvert ses portes en juillet 2007.

Suis-je bien à Rennes ?

Ce mercredi, nous participons à un parloir sauvage : des associations, mais aussi de simples citoyens, se postent devant les grillages pour parler aux retenus et leur exprimer leur soutien. Les parloirs sauvages ne sont pas interrompus par les gendarmes qui surveillent le centre, s’ils se déroulent dans le calme. Mes yeux restent accrochés à ces petits chevaux de plastique, vides ce jour-là. Suis-je bien en France ? Suis-je bien à Rennes ? «Nous avons toujours voulu raconter l’histoire du centre à travers les yeux d’un enfant, explique Carole Bohanne. La trame, c’est la procédure juridique, jour par jour. Chaque histoire est singulière mais la procédure est toujours la même. »
Cette procédure, Carole et Nathalie l’ont découverte en même temps qu’elles se rencontraient, en février 2007 : à l’époque, elles manifestent toutes les deux contre l’arrestation de Maliens sans papiers, à Montfort-sur-Meu. C’est là que les deux auteures vivent, travaillent et désormais militent. « On s’est demandé où ils emmenaient les Maliens, se souvient Carole, et on a découvert les centres de rétention. » Inutile d’être avocat ou de faire partie d’une association pour visiter un retenu : connaître son nom suffit. Chaque citoyen peut ainsi apporter un peu de réconfort à ces hommes, ces femmes et ces enfants enfermés parfois pendant un mois entier. « A l’intérieur, l’ambiance est différente d’une prison, c’est pire, assure Nathalie. C’est une espèce de vacuité, d’ennui… Matériellement, ils ne peuvent rien faire ! » Les crayons, livres et feuilles sont interdits, y compris pour les enfants qui n’ont pas non plus de jouets. « Les centres ne sont pas forcément adaptés : pour les bébés, par exemple, au départ il n’y avait aucun matériel. »

Le paradoxe français

Cet après-midi-là, sur les soixante retenus, une dizaine échangent avec nous, en français ou en anglais. «J’ai l’impression de voyager sans bouger, raconte Moussa dans “C’est où chez nous ?”, car il y a ici des gens de tous les pays ! » Ils viennent en effet d’Afrique, des Pays de l’Est, d’Asie, du Moyen-Orient… Ils ont été arrêtés dans toute la Bretagne. Certains sont en France depuis très longtemps, comme cet Algérien, installé depuis dix ans : « Je construis la France, moi ! Je travaille, je suis maçon. Je n’ai rien cassé, je n’ai rien volé… Pourquoi je suis ici ? » D’autres sont juste “en transit”, comme Assif, un Afghan qui tente de rejoindre l’Angleterre. Il a été arrêté pour la troisième fois à Saint-Malo et aura passé au total trois mois derrière les grillages. Assif symbolise la perversité de la loi française : « Il ne peut pas être renvoyé dans son pays, explique ainsi Nathalie, car l’Afghanistan fait partie de la liste des “non sûrs”. Le premier pays européen dans lequel il a laissé ses empreintes, c’est l’Autriche : il va donc être expulsé là-bas. »
Une errance que Nathalie M’Dela-Mounier connaît bien : dans un premier ouvrage, “Sans patrie”, déjà paru aux Oiseaux de papier, elle racontait la traversée périlleuse d’Africains, cherchant à rejoindre l’Espagne dans un canot de fortune. « Depuis l’enfance, ils sont dans l’errance, c’est terrible ! C’est une double peine : l’exil et le rejet. » Milite-t-elle pour une régularisation massive des sans papiers ? «Pas forcément, mais pour la libre circulation, comme nous, Français. C’est un droit. Il faut aussi s’interroger au niveau mondial : qu’est-ce qu’on cautionne qui provoque ça ? Pourquoi viennent-ils ? Parce qu’ils n’ont pas le choix, économiquement ou politiquement ! » Et parce que les politiciens ne manquent jamais d’humour, la construction des centres de rétention serait financée avec les budgets du co-développement, c’est-à-dire l’aide réservée normalement aux pays pauvres ! Paradoxalement encore, d’ici à 2020, des milliers d’émigrants seront nécessaires pour faire fonctionner la France. Pourquoi, alors, rejeter ceux qui vivent et travaillent déjà sur le territoire ? « Parce que le gouvernement veut pouvoir choisir », répond Carole. Ainsi, la préférence est aujourd’hui donnée aux ressortissants des Pays de l’Est, avec qui la France a signé des accords de coopération.

« C’est où chez nous ? »

La présence d’enfants peut-elle faire pencher la balance ? Les juges sont-ils plus cléments ? « C’est parfois le dernier rempart contre l’exclusion », reconnaît Carole. Pourtant, dans leur livre, les deux femmes laissent planer le doute… Tandis que nous laissons les retenus à leur triste quotidien, je repense aux derniers mots de Moussa : « Nous rentrons chez nous ? A Saint-Brieuc où nous allons à l’école ? A Berlin où nous avons vécu en arrivant en Europe ? Dans le pays où je suis né mais que mes parents ont fui ? Je me posais la question quand Youna (…) a demandé : Mais Maman, c’est où chez nous ? Et Maman a pleuré. »
Fanny Lancelin
 
 
"C'est où chez nous ?" : Nathalie M'Dela-Mounier, Carole Bohanne, Stéphane Cerveau
"Collection L'Inacceptable", Les Oiseaux de Papier
www.les-oiseaux-de-papier.com
lesoiseauxdepapier@wanadoo.fr 

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