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Le ministre de l’Intérieur « se trompe de cible » pour Patrick Weil

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Pas les enfants, monsieur Sarkozy !

Pour Patrick Weil, le mouvement de soutien aux enfants sans papiers est la preuve de l’échec du ministre de l’Intérieur : sa loi lui « explose à la figure »

Le Nouvel Observateur. - Le mouvement de soutien aux enfants sans papiers ne cesse de s’amplifier. Votre réaction ?

Patrick Weil. - C’est la preuve in vivo de l’échec de la politique que Nicolas Sarkozy veut mettre en place avec sa nouvelle loi.

N. O. - Mais elle vient à peine d’être votée !

P. Weil. - Oui, mais elle prévoit la restriction des possibilités de régularisation individuelle pour ceux des immigrés en situation irrégulière qui ont une vie privée et familiale en France. Or ces enfants dont on parle depuis plusieurs semaines ainsi que leurs parents pouvaient espérer correspondre aux critères de régularisation précédents, précisément ceux que Sarkozy a choisi de supprimer. D’autre part, il avait fourni un avant-goût de l’esprit de son projet en ordonnant aux préfets de « faire du chiffre » en matière de reconduites à la frontière. Aujourd’hui, cette loi lui explose à la figure et il est obligé de faire le contraire de ce qu’il avait annoncé, avec tambour et trompette, à son électorat de droite. Par méconnaissance du terrain et de la complexité des politiques d’immigration, il est contraint de faire machine arrière.

N. O. - Est-ce à dire qu’il est impossible de contrôler l’immigration et d’expulser des étrangers en situation irrégulière ?

P. Weil. - La politique de l’immigration est comme toutes les politiques publiques. Elle a ses règles. Même si ces règles sont bien conçues, il y a toujours des fraudeurs. Si 95% des Français déclarent leur revenu pour payer leur impôt, il y en a toujours 5% qui ne le font pas. S’il n’y avait pas de contrôle fiscal, pas de sanction, probablement personne ne déclarerait ses vrais revenus. Le contrôle et la sanction sont donc nécessaires. Mais au bout d’un certain temps il y a prescription. Si chacun était obligé de prouver ses revenus pendant trente ans, on vivrait dans une société totalitaire. En matière d’immigration, c’est pareil. Le rôle d’un gouvernement est de se concentrer sur les premières années du séjour irrégulier et, comme en matière fiscale, de viser les gros poissons. En clair : les délinquants étrangers qui n’ont pas d’attache personnelle en France ou les employeurs de travailleurs clandestins. Ce n’est pas ce que fait Sarkozy. En s’attaquant aux enfants et à leurs familles ou à ceux qui n’ont commis aucun autre délit que celui d’être en séjour irrégulier, le ministre de l’Intérieur a délaissé la reconduite à la frontière des vrais délinquants. Les chiffres fournis par son ministère le démontrent : la reconduite de ceux-là a baissé de 5% entre 2004 et 2005.

N. O. - Selon vous, Sarkozy n’a donc fait que de l’affichage pour raison électorale...

P. Weil. - C’est clair à partir des chiffres. La droite depuis 2002 a fait plus d’immigration légale (titres de séjour accordés notamment au nom du regroupement familial) que la gauche et moins d’immigration de travail. Difficile à vendre à l’électorat de Le Pen ou de Villiers, qui ne veulent pas d’immigration en général et d’immigration familiale en particulier. Pour camoufler ce résultat, le ministre de l’Intérieur décide une loi qui fait exploser l’immigration irrégulière.

N. O. - Nos voisins européens connaissent-ils les mêmes problèmes ?

P. Weil. - Les situations sont explosives en Italie ou en Espagne, ou aux Etats-Unis qui ont adopté le système des quotas. Ce système génère en effet un maximum d’étrangers en situation irrégulière. Car les gouvernements annoncent au monde entier leur objectif - un chiffre de délivrance de cartes de séjour - pour l’année, par exemple 80 000, et ce sont 800 000 personnes qui débarquent. Ainsi aux Etats-Unis, il y a environ 12 à 13 millions d’étrangers en situation irrégulière. En Espagne ou en Italie, entre 500 000 et 1 million de personnes ont été régularisées au cours des dernières années. En France, le nombre de régularisations (au cas par cas selon les critères de loi de 1998 - parents d’enfants français, présence pendant dix ans sur le territoire...) varie entre 25 000 et 30 000 régularisations par an. S’il y avait les quotas qui tentent encore M. Sarkozy, ce chiffre pourrait être multiplié par dix ou vingt comme en Italie.

N. O. - La régularisation des enfants scolarisés constituerait selon certains un appel d’air, une faille dans laquelle s’engouffreraient des milliers de candidats à l’émigration. Qu’en pensez-vous ?

P. Weil. - C’est un fantasme. La plupart des personnes en séjour irrégulier viennent en France avec un visa de tourisme qu’ils prolongent. Le problème se situe largement en amont. Il est vrai qu’il y a une faille au départ du dispositif de contrôle. Les moyens des consulats qui délivrent les visas devraient être renforcés. Il faut par ailleurs lutter plus efficacement contre les filières organisées et, je l’ai dit, s’attaquer aux employeurs hors la loi.

N. O. - La scolarisation des enfants dans l’espoir qu’ils soient régularisés, eux et leurs familles, serait donc un phénomène marginal ?

P. Weil. - Si les enfants n’étaient pas scolarisés, ce qui est impossible à partir de 6 ans puisque l’école est obligatoire, où seraient-ils ? A travailler dans des ateliers clandestins ? A traîner dans la rue et éventuellement à troubler l’ordre public ? Veut-on des analphabètes, des enfants-esclaves, des délinquants ? Les mettre à l’école, c’est une mesure de sauvegarde de ces enfants, mais aussi une garantie de notre paix sociale. Une fois que les enfants sont là et installés depuis plusieurs années, il faut prendre acte de la situation et les régulariser. Je le répète : 25 000 à 30 000 régularisations par an, c’est très peu par rapport à certains de nos voisins européens. Aucune politique publique ne réussit à 100%. Et le nombre d’enfants concernés actuellement en France est infinitésimal par rapport à tous les enfants du monde, d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique latine, qui rêvent de l’école publique française.

N. O. - La France a-t-elle les moyens d’accueillir de nouveaux étrangers ?

P. Weil. - La France reçoit un petit nombre d’immigrés par rapport à d’autres pays. Il ne faut pas créer d’affolement. C’est tout le paradoxe de l’action de Sarkozy. Deux ans après avoir fait voter une première loi de contrôle de l’immigration, il en élabore une deuxième, inutile et dangereuse, dont le seul résultat est de créer de l’affolement chez nos compatriotes et chez les étrangers. Laisser croire que nos frontières sont ouvertes, c’est faux. La France n’est pas une forteresse, mais elle n’est pas non plus une passoire.

Patrick Weil , directeur de recherche au CNRS, auteur de « la République et sa diversité. Immigration, intégration, discriminations » (Seuil).

Carole Barjon

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