Parmi les récents soutiens qui ne cessent de "pleuvoir" sur le portable du Collectif, le contact aujourd'hui d'un magistrat nantais qui a préféré garder l'anonymat, mais se dit prêt à nous soutenir et nous éclairer sur le terrain législatif.
Cette contribution nous est parvenue en soirée. Je la fais suivre aux députés interpellés au fil de cette réflexion. Merci encore à son auteur.
LES PARRAINAGES REPUBLICAINS : DESOBEISSANCE CIVILE ?
Un mouvement de parrainage « républicain » a été initié par le « Collectif Enfants Etrangers Citoyens Solidaires » en vue de protéger les enfants d’étrangers en situation irrégulière faisant l’objet d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière de l’expulsion imminente qui les menace du fait de la mise à exécution d’une mesure d’éloignement. Cette mise à exécution a été différée, il faut le rappeler, en application de la « circulaire Sarkozy » du 31 octobre 2005 qui recommandait aux préfets d’attendre la fin de l’année scolaire avant d’expulser les familles en situation irrégulière « qui ont manifesté une réelle volonté d’intégration ». Le mouvement initié par le collectif a connu sa première manifestation d’importance avec la « cérémonie » qui a eu lieu samedi 1er juillet à Nantes en présence du maire. Cet événement pose un vrai problème : celui de la prise en compte des enfants scolarisés d’étrangers en situation irrégulière par les autorités de l’Etat.
1°) En premier lieu, il convient de souligner qu’un étranger mineur n’a pas droit à la délivrance d’un titre de séjour : il se situe en dehors du champ d’application de l’ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers, désormais codifiée depuis le 1er mars 2005 dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dit « CESEDA ». C’est ce qu’a décidé la Cour administrative d’appel de Nancy, dans un arrêt pris le 16 février 2006 en formation plénière. Ainsi, un étranger mineur n’est pas en droit interne un sujet de droit : sa situation juridique suit celle des parents et lorsque ces derniers font l’objet d’une décision d’éloignement, à raison du fait qu’ils n’ont pu obtenir un titre de séjour, la reconduite à la frontière a en quelque sorte un « effet collectif » et s’attache nécessairement aux enfants.
2°) « L intérêt supérieur de l’enfant » : une notion juridique dont les contours restent à définir
Pourtant, les autorités administratives ont le devoir, lorsqu’ils prennent une décision à l’encontre d’un étranger en situation irrégulière, de prendre en compte « l’intérêt supérieur de l’enfant » et ce, en application de l’article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l’enfant, dite « convention de New-York » en date du 26 janvier 1990, publiée par décret du 8 octobre 1990. . L’ article 3-1 stipule, il est intéressant de le rappeler : «Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ». Ces stipulations peuvent être invoquées devant le juge administratif. Le problème est que la notion « d’intérêt supérieur de l’enfant » n’a jamais été définie par le Parlement. Le Conseil d’Etat, statuant au contentieux sur les arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière, considère que l’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas méconnu lorsqu’il n’est pas séparé de ses parents, ce qui relève d’une conception très restrictive de la notion contenue dans la convention déjà citée. La circonstance que l’étranger mineur soit scolarisé en France et n’ait aucun lien avec le pays d’origine de ses parents est dès lors sans conséquences : voir la motivation d’un arrêt récent du Conseil d’Etat en date du 16 mars 2005 : « Considérant, d’une part, que si Mme fait valoir que deux de ses enfants sont scolarisés en France depuis leur arrivée sur le territoire national en juin 2000, il n'est pas établi qu'ils ne pourraient pas l'être en Algérie ; que, d'autre part, M. et Mme font tous deux l'objet d'une mesure de reconduite à la frontière, de sorte que rien ne s'oppose, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, à ce qu'ils repartent avec leurs enfants dans leur pays d'origine ; que, dès lors, il ne ressort pas des pièces du dossier que l’intérêt supérieur des enfants de Mme n’ait pas été pris en compte ; »
… On est en droit de ne pas partager une telle analyse et c’est justement, me semble-t-il, ce qui sous-tend la démarche du collectif « enfants étrangers » . « L’intérêt supérieur de l’enfant » est en réalité une notion bien plus large, qui inclut outre le droit de vivre en famille, le droit à la scolarité et le droit au développement personnel dans un environnement stable. Ces droits son bien évidemment méconnus par la reconduite à la frontière des parents qui n’ont pu obtenir un titre de séjour et il est injuste de faire supporter aux enfants déjà intégrés dans leur vie quotidienne à l’école et dans leur quartier le traumatisme d’un renvoi dans un pays d’où leurs parents ont fui.
Dans ce contexte juridique, la démarche de soutien à des enfants scolarisés n’apparaît pas nécessairement comme un acte de « désobéissance civile » puisqu’elle défend « l’intérêt supérieur de l’enfant » qui, dans de nombreux cas, peut apparaître de manière légitime comme ayant été méconnu. En tout état de cause, il revient au Parlement d’effectuer un travail de transposition en droit interne de l’article 3-1 de la convention du 26 janvier 1990, c'est-à-dire de définir avec précision les droits d’un étranger mineur. Ce travail incombe aux élus qui ont pris fait et cause pour le « parrainage républicain ».
3°) Sur la circulaire « Sarkozy » du 13 juin 2006 :
Cette circulaire est étonnante, car elle institue un dispositif spécial de réexamen des dossiers des étrangers qui refusent l’aide financière au retour dans le pays d’origine, en prenant en considération des critères qui normalement relèvent du domaine de la loi. Le projet de loi « immigration » n’en parle pas et ces critères, institués par une autorité publique qui n’a pas la compétence pour le faire, ne seront pas discutés par le Parlement.
Ceci étant, et malgré le caractère « hors normes » de cette circulaire, il semblerait que le ministre de l’intérieur entend donner un caractère effectif à « l’intérêt supérieur de l’enfant », pour autant que les critères en question soient réellement pris en compte par les administrations préfectorales, qui vont vite être … « débordées » !
On peut noter les critères suivants : - « scolarisation effective d’un de leurs enfants au moins, en France, y compris en classe maternelle, au moins depuis septembre 2005 », - « absence de lien de cet enfant avec le pays dont il a la nationalité », -« réelle volonté d’intégration de ces familles »… qui devraient normalement permettre aux ménages d’origine étrangère d’obtenir la régularisation de leur situation en joignant à leurs dossiers de demande des documents probants nécessaires : certificats de scolarité, preuves de la résidence habituelle en France depuis au moins deux ans (les avocats ont l’habitude, puisque actuellement, les étrangers peuvent obtenir une carte de séjour temporaire en prouvant leur présence en France depuis au moins 10 article L 313-11 3° CESEDA) .
Le problème me semble-t-il, est que la hiérarchisation de ces critères n’est pas définie : les préfectures vont elles prendre en compte certains des critères ou TOUS les critères et s’attacher à ce qu’ils soient tous remplis ? L’expression « vous pourrez utilement prendre en compte les critère suivants » laisse la porte ouverte à bien des interprétations.
Au surplus, se posent des problèmes de preuve : comment prouver par ex. la « réelle volonté d’intégration » (critère 6) ? Peut être par l’inscription à des cours d’alphabétisation (application anticipée du projet de loi ?), et comment prouver « le suivi éducatif des enfants » lorsque l’enfant est scolarisé en maternelle ou en primaire ?
Il convient d’attirer l’attention des élus (M. Ayrault, président du groupe socialiste notamment, puisque le projet de loi immigration vient d’être examiné par le Sénat) sur :
-le caractère très contestable de cette circulaire qui, au surplus, limite à deux mois à compter de sa publication le délai de dépôt d’une demande,
- le fait que le Parlement n’est pas saisi d’une telle « réforme » qui institue de nouveaux critères
- le fait que l’étranger qui fait l’objet d’un refus ne pourra pas se prévaloir de ce texte devant le tribunal administratif. Le droit de recours est donc méconnu.