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Ouest France : "L'invivable secret des salariés sans papiers"

Lundi 02 juin 2008

L'invivable secret des salariés sans papiers



Comme à Paris, ils sortent du bois après des années de clandestinité. Ils ont pris contact avec la CGT de Nantes. Ils témoignent de leur quotidien.

Ils ont la frousse. Plusieurs années qu'ils rasent les murs. Qu'ils bossent et se taisent. Ils sont travailleurs sans papiers. Donner leur prénom ? Deux de ces trois salariés, réunis dans un petit local à Nantes, refusent. On les appellera donc Samba et Ben. Leur âge ? Ils tiquent. Une photo ? N'en parlons pas. Samba raconte : « Je dis même pas à mes amis et à mes collègues que je suis sans papiers. Trop risqué. » Trop peur d'une éventuelle dénonciation.

Aujourd'hui, certains travaillent et tous ont une promesse d'embauche. « Un contrat ferme comme conducteur de ligne dans l'industrie mécanique », insiste Pascal qui, lui, accepte sans rechigner de livrer son identité. Ils attendent leur régularisation, ce bout de papier qui leur permettra de « faire une famille comme tout le monde, de respirer comme tout le monde ».

« Pas possible d'avoir des projets »

« Ma vie se résume à travail, travail, travail, répète Samba, la trentaine. Quand tu es sans papiers, pas possible d'avoir des projets. Je peux acheter des choses, mais pour quoi faire ? Tu te dis : Demain, je serai peut-être plus là, je serai arrêté, renvoyé dans mon pays ». Son pays, le Sénégal que cet étudiant en lettres a quitté voilà huit ans. Fuir la « maison délabrée », le salaire de prof à 200 €. Fuir pour donner le coup de main à sa mère, ses frères et soeurs. « On souffre, mais on aide. C'est ma seule consolation. Quand quelqu'un de ma famille est malade, je peux envoyer de l'argent. »

Ils sortent leurs fiches de paie, des lettres de l'assurance maladie, un courrier des Impôts... Dans leurs chemises, des masses de documents, comme autant de preuves. « Regardez, je cotise même à la retraite. Je vais pas retourner dans mon pays et laisser six ans de retraite », dit Ben, chef d'équipe dans le bâtiment.

Pour trouver du boulot, tous sont passés par des agences d'intérim. À chaque fois, il leur a fallu présenter leur pièce d'identité, donner leur numéro de Sécu. À chaque fois, ils ont biaisé. Aidés par ces agences souvent peu regardantes. Suffit de jeter un coup d'oeil sur cette fiche de paie de Samba : son numéro de Sécu s'arrête à sept chiffres. « Vous savez, quand tu fais bien ton travail, elles s'en fichent, elles te donnent des missions », assure Lassen, 41 ans, travailleur illégal durant onze ans, régularisé il y a trois ans après un mariage.

« Franchement, être sans papiers, ce n'est pas vivre. » Une voiture pour aller bosser ? Impossible, pas de papier, pas d'assurances. Et puis, en voiture, « tu as plus de chance d'être contrôlé ». Donc, à l'image de Samba, prendre le bus et marcher ensuite une grosse demi-heure pour arriver à cette entreprise perdue dans une zone industrielle de l'agglo nantaise. « On me dit souvent : T'as bien les moyens de t'acheter une voiture. Faut trouver une excuse. ».

Toujours trouver des excuses. Comme Ben, à qui un patron a régulièrement proposé un CDI. Toujours sourire, à ces policiers municipaux, notamment, qu'il voyait, chaque jour, dans le chantier de cette mairie. Toujours accepter les insultes racistes, car mieux vaut courber l'échine que de se rebeller.

Aujourd'hui, ils espèrent

« On rentre dans le moule. On dépense en France. On participe à l'évolution du pays et on ne veut pas de nous. Qu'on nous donne une raison valable ! » Lassen ajoute : « On a choisi la France car le slogan Liberté, égalité, fraternité, on le voit de très loin. Il donne envie de venir. Que vous n'aimiez pas les gens qui détruisent votre pays, d'accord, mais nous... »

Aujourd'hui, aidés par l'association Gasprom et par la CGT, comme à Paris, ils espèrent. « Sans optimisme béat », précise Pascal, Camerounais de 28 ans, arrivé en France voilà trois ans. Leurs employeurs connaissent aujourd'hui leur situation, ils leur ont dit clairement. Combien continuent de la cacher ? En Loire-Atlantique, ils sont seulement une quarantaine à avoir pris contact avec la CGT. À Lille, Toulouse et Bordeaux, un même mouvement s'enclenche.

Marylise COURAUD et Jean-François MARTIN.

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