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La rue elle ne le fera pas plier, mais le droit...

 

Grâce à la primauté de la Constitution sur la loi !

 

Affaire en instance au Conseil Constitutionnel

Affaire 2007 - 557 DC : Loi relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile

Signé par les députés PS, GDR (Gauche démocratique et républicaine) et par le président du MoDem, François Bayrou, le recours au Conseil constitutionnel a été déposé contre l'ensemble du projet de loi sur l’immigration et demande la censure des articles 13, qui autorise les tests AND dans le cadre du regroupement familial, et l’article 63, qui introduit les statistiques ethniques.

 

En attendant, la décision du Conseil Constitutionnel, rien de plus urgent que la lecture de :

Danièle Lochak, « Face aux migrants : état de droit ou état de siège ? », éditions Textuel, octobre 2007, 112 p., 17 €.

 

Un long extrait est généreusement offert sur le site de la LDH de Toulon et sur le site du RESF


Il mérite d’être connu de toutes celles et tous ceux qui devant la menace seraient tentés de fléchir alors qu’ils se sentent dans le juste. Il a le mérite de laisser entrevoir que le droit peut  venir en renfort de la rue  (ou à la rue) !


  • Aujourd’hui, qu’y a-t-il dans la législation qui se rapproche d’une sollicitation du citoyen comme auxiliaire de police ?

La dénonciation est une pratique qui est admise et officiellement reconnue en droit pénal, elle est même obligatoire en ce qui concerne certains crimes ou délits – la maltraitance des mineurs, par exemple. Mais il n’y a pas de disposition spécifique, dans la législation, qui oblige les simples citoyens à dénoncer les étrangers en situation irrégulière. En revanche, le code de procédure pénale prévoit que tout agent public qui, dans l’exercice de ses fonctions, a connaissance d’un délit doit le dénoncer au procureur de la République. Et dès lors que le séjour irrégulier est effectivement un délit, on voit des maires ou des fonctionnaires invoquer cette disposition pour, spontanément ou sur incitation de leur hiérarchie, dénoncer les étrangers sans papiers. Nombreux sont les maires qui avertissent immédiatement la préfecture s’ils constatent que l’un des membres du couple qu’ils doivent marier n’est pas en règle. La loi Sarkozy de 2003 a tenté de donner une base légale à cette pratique : les maires se seraient vu reconnaître le droit de vérifier la situation des futurs conjoints étrangers – ce qu’ils n’ont pas à faire sur la base des textes existants – et, en l’absence de document de séjour valable, ils auraient dû saisir le parquet ainsi que le préfet. Le Conseil constitutionnel a invalidé cette disposition, estimant qu’elle portait une atteinte excessive à la liberté de se marier. Mais, même illégale, la pratique n’a pas cessé.

De même, dans certaines communes, les services chargés des inscriptions scolaires contrôlent le titre de séjour des parents – de façon là encore illégale, puisque les enfants doivent être scolarisés quelle que soit la situation des parents – et si, ceux-ci sont en situation irrégulière, il arrive qu’ils soient signalés au parquet. Les chefs d’établissement et les travailleurs sociaux, de leur côté, sont soumis à des pressions de plus en plus fortes de leur hiérarchie, qui leur demande d’informer les autorités des situations d’irrégularité de séjour dont ils ont connaissance.

Je pense pour ma part que cette interprétation de l’article du code de procédure pénale dont j’ai parlé est contestable. Le devoir de révélation concerne, dit le texte, les faits dont l’agent public a eu connaissance « dans l’exercice de ses fonctions » ; or, si les policiers, dans le cadre d’un contrôle d’identité, ou le personnel des préfectures ont dans leurs attributions de vérifier la régularité du séjour des étrangers, les autres agents et fonctionnaires n’ont pas à demander la production d’un titre de séjour à ceux qui s’adressent à eux : ni le maire pour procéder à un mariage, on l’a dit, encore moins le personnel de l’Éducation nationale ou les travailleurs sociaux, d’autant que l’accès aux services en question n’est pas réservé aux étrangers en situation régulière. Par conséquent, s’ils ont connaissance de l’irrégularité du séjour, c’est soit parce que la personne le leur a spontanément déclaré, soit parce qu’ils ont exigé la production d’un document qu’ils n’avaient pas à demander. Les obliger à révéler cette information revient à les encourager à outrepasser la mission qui leur est dévolue. Dans le cas des travailleurs sociaux, le devoir de révélation entre de plus directement en conflit avec le secret professionnel auquel ils sont astreints.

  • Et les simples citoyens ?

Je l’ai dit, il n’existe en ce qui les concerne aucune obligation de dénoncer. Mais les autorités jouent sur la crainte de la répression pour inciter les citoyens à prendre leurs distances vis-à-vis des « clandestins » et les dissuader de leur apporter un soutien quelconque. On a décrété la mobilisation générale contre « l’immigration clandestine » et chacun est sommé d’y apporter son concours. Qui refuse de collaborer ou, a fortiori, tente d’entraver la mécanique de la répression se voit menacer de sanctions. Au coeur du dispositif d’intimidation, on trouve le texte qui réprime l’aide à l’entrée et au séjour irréguliers des étrangers en France. Cette disposition, à vrai dire, existe depuis très longtemps. Mais on l’avait toujours interprétée comme visant les passeurs, les employeurs ou les marchands de sommeil qui organisent de véritables filières d’immigration illégale et cherchent à exploiter les étrangers en profitant de leur vulnérabilité. Au début des années 1990, toutefois, ce texte a commencé à être invoqué comme fondement à des poursuites contre des personnes privées ou des associations venant en aide aux étrangers sans papiers. On a pensé au départ qu’il s’agissait de simples manoeuvres d’intimidation. Mais, peu à peu, ces poursuites ont débouché sur des condamnations. Et lorsque la Cour de cassation a tranché en disant que le délit était constitué même si l’aide était apportée à titre amical et purement désintéressé, les défenseurs des libertés ont essuyé une première défaite. La seconde a résulté de la prise de position du Conseil constitutionnel, à l’occasion du vote de la loi de 1996 contre le terrorisme. Le gouvernement souhaitait que l’aide au séjour irrégulier soit répertoriée parmi les infractions à visée potentiellement terroriste. Pour venir à bout des réticences du Sénat, le gouvernement a fait inscrire dans le texte, en guise de compensation, certaines immunités au profit des membres de la famille : autrement dit, l’aide au séjour irrégulier ne serait pas sanctionnée lorsqu’elle est le fait d’un proche. Le Conseil constitutionnel a certes invalidé l’inscription de l’aide au séjour irrégulier dans la liste des délits terroristes, mais il a en revanche admis la pertinence de la liste des immunités, critiquée comme trop restrictive par les parlementaires socialistes. Mais ce qu’on n’a pas assez réalisé, à l’époque, c’est qu’accepter de discuter sur l’étendue des immunités, c’était reconnaître ipso facto que ceux qui apportent une aide désintéressée sans figurer sur cette liste peuvent être poursuivis et punis. Par la suite, la liste des bénéficiaires de l’immunité a été allongée, mais les sanctions ont aussi été aggravées.

  • Aider des sans-papiers devenait un délit d’aide au séjour irrégulier…

Absolument. C’est ainsi, en tout cas, qu’on présente les choses. Mais, en y réfléchissant, elles ne sont pas aussi simples. Donner à manger à un étranger sans papiers, l’héberger, lui donner de l’argent, c’est assurément l’aider. Mais doit-on assimiler l’aide à ce sans-papiers à une aide au séjour irrégulier ? En 2003, pour dénoncer le renforcement de la répression annoncée par la loi Sarkozy, plusieurs associations et personnalités ont lancé un « Manifeste des délinquants de la solidarité » qui se concluait ainsi : « Nous déclarons avoir aidé des étrangers en situation irrégulière. Nous déclarons avoir la ferme volonté de continuer à le faire (…) Si la solidarité est un délit, je demande à être poursuivi(e) pour ce délit. » « Délinquant de la solidarité » : politiquement et médiatiquement, l’expression fait mouche. Mais, en même temps, elle semble tenir pour acquis que venir en aide à un sans-papiers est un délit. Or je pense – ici, c’est la juriste qui parle – qu’il ne faut pas se résigner sur ce point, qu’il ne faut pas concéder qu’en aidant un sans-papiers on commet ipso facto le délit d’aide au séjour irrégulier. C’est différent, bien sûr, si vous cachez des gens qui sont recherchés par la police. Avant de se revendiquer de l’objection de conscience et de la désobéissance civile, il vaut mieux d’abord continuer à se battre sur le plan du droit, continuer à contester l’équation « aide à un sans-papiers = aide au séjour irrégulier ». D’autant que le flou de la loi sert finalement les intentions du pouvoir : accueillir chez soi, nourrir, prêter de l’argent, renseigner… Personne ne sait très bien où commence et où s’arrête le délit d’aide au séjour irrégulier. L’essentiel, c’est que la menace plane et qu’elle soit d’autant plus crédible que les poursuites se multiplient et que les condamnations tombent.

Aujourd’hui, les autorités ont trouvé encore d’autres instruments d’intimidation : l’inculpation pour rébellion ou « entrave à la circulation d’un aéronef » des passagers qui refusent de voyager à côté de gens menottés, parfois scotchés et drogués, encadrés par des policiers, ou le fichage de ceux qui hébergent des visiteurs étrangers ou qui rendent visite aux étrangers placés en rétention – histoire là encore de faire comprendre à toute personne qui entretient des liens avec des étrangers qu’elle est considérée comme suspecte. On peut aussi rappeler le placement en garde à vue, en mars 2007, d’une directrice d’école qui s’était interposée pour protéger les enfants et leurs parents contre les assauts de la police ; n’est-ce pas un avertissement à tous les chefs d’établissement qui seraient tentés de faire prévaloir leur mission éducative sur le rôle policier qu’on veut leur faire endosser ?

Danièle Lochak

P.-S.

Danièle Lochak, « Face aux migrants : état de droit ou état de siège ? », éditions Textuel, octobre 2007, 112 p., 17 €.

Au sommaire

  • Préface
  • La spirale répressive
  • L’accoutumance aux dérives de l’Etat de droit
  • Penser autrement les frontières
  • Bibliographie de l’auteur

Le quatrième de couverture

Pour tenter de stopper une immigration jugée menaçante, les États européens se sont engagés dans une spirale répressive sans fin. Tracasseries administratives, contrôles policiers, enfermement sont le lot commun des étrangers. Cette politique débouche sur des pratiques indignes pour une société démocratique et menace désormais aussi la vie des migrants. Elle est moralement inacceptable mais également inefficace, nous dit Danièle Lochak. Elle plaide pour une autre politique qui prenne acte du caractère inéluctable des migrations et ne réserve plus la liberté de circulation aux habitants des pays nantis.

L’auteur

Danièle Lochak est professeur de droit à l’Université Paris X Nanterre, vice-présidente de la LDH et membre du Gisti (Groupe d’Information et de Soutien des Immigrés) dont elle fut la présidente de 1985 à 2000.

Elle est l’auteur de Étrangers, de quel droit ?, PUF, 1985, La justice administrative, Montchrestien, 1998, Les droits de l’homme, La Découverte, 2005, La liberté sexuelle (co-dir. avec D. Borrillo), PUF, 2005.

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