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LE MONDE | 17.06.06 | 13h55 • Mis à jour le 17.06.06 | 14h16
C’est l’"instinct", disent-ils, qui les pousse à agir. Leur "conscience". Ils sont des centaines, à travers la France, à rester mobilisés. Nicolas Sarkozy a promis la régularisation "au cas par cas" de familles d’enfants scolarisés, menacées d’expulsion. Pourtant, la mobilisation continue de s’étendre.
AFP/BERTRAND GUAY
Manifestation de soutien à la famille Kagny, dont les deux filles sont menacées d’expulsion à l’issue de l’année scolaire, le 16 juin 2006 à Paris.
Les habitants de Chavagnes-en-Paillers, petite commune vendéenne de 3 000 âmes, s’étaient donné rendez-vous samedi 10 juin sur la place principale. "Leur" famille, à eux, vient du Kosovo. Dès qu’ils ont appris sa convocation à la préfecture, "cela a été instinctif", raconte Ghislaine Clouet, 58 ans. C’est elle, mère de famille retraitée, épaulée par l’institutrice de la commune et par une voisine, qui a monté une association "dans l’urgence". " Depuis deux ans et demi, nous les côtoyons comme des amis, s’emporte-t-elle. Le monsieur a une promesse d’embauche d’un entrepreneur de la commune. Sa femme, couturière, aide bénévolement une association locale. Les enfants ont de nombreux copains chavagnais, vont au club de foot... Ils font vraiment partie du village."
Nés de la réaction de simples citoyens, les collectifs finissent souvent par converger vers le Réseau éducation sans frontières (RESF). Cette plate-forme d’information et de conseil, créée en 2004, regroupe aujourd’hui 70 organisations. Le réseau offre la possibilité de consulter des juristes, met à disposition un guide pratique et juridique (Jeunes scolarisés sans papiers : régularisation, mode d’emploi), relaie sur son site Internet appels à manifester et pétitions, se charge en cas d’urgence d’interpeller les préfectures et au besoin le cabinet du ministre de l’intérieur. Une aide précieuse pour tous ceux - et c’est souvent le cas - qui ne sont pas des militants aguerris.
"DÉSOBÉISSANCE CIVILE"
Le réseau vient de demander à tous les sénateurs et députés de parrainer la famille d’un enfant sans papiers. Le 1er juillet, dernier samedi avant les vacances scolaires, il organisera une "cérémonie d’ouverture de la chasse aux enfants" où il réitérera son appel à la "désobéissance civile" pour protéger les élèves susceptibles d’être expulsés cet été.
A l’origine du réseau, Richard Moyon, un enseignant de Châtenay-Malabry, dans les Hauts-de-Seine. Un jour, il y a dix ans, un élève l’aborde en tremblant à la fin d’un cours, lui montre l’"invitation à quitter le territoire" qu’il vient de recevoir. Elèves et professeurs se mobilisent, font le siège de la préfecture. Issa, mauritanien en 1996, est aujourd’hui français, père de deux petites Françaises et commercial dans une PME. Entre-temps, Richard Moyon a soulevé des montagnes pour empêcher l’expulsion de dizaines d’élèves.
A Créteil aussi, des enseignants sont mobilisés. Une assemblée générale est organisée en juin 2004. Une centaine de personnes se réunissent à la Bourse du travail, à Paris - enseignants, syndicats de profs, organisations de parents d’élèves, milieux préoccupés par l’immigration. La machine est lancée, des dizaines de comités locaux s’y raccrochent... Pas de structure, pas de local, pas de permanent, pas de président : le mouvement vient d’en bas, s’étoffe tous les jours de mères et de pères de famille, souvent apolitiques, dont les enfants ont, à l’école, un copain menacé. "C’est l’anarchie miraculeuse", résume Richard Moyon.
Le pilier du réseau ne cherche pas la notoriété. Mettre en avant un ancien de Lutte ouvrière, puis de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) pour symboliser le réseau ? Cela risquerait de mettre en péril le fragile équilibre qui "tient" le réseau. Car le mouvement, porté au départ par des enseignants de gauche ou d’extrême gauche, relève aujourd’hui du plus bel éclectisme.
A Chavagnes-en-Paillers, en plein coeur des terres villiéristes, "des laïcards, des religieux, des gens très à droite, des gens très à gauche, sont mobilisés", témoigne Ghislaine Clouet, qui dit pour sa part ne plus savoir où se situer sur l’échiquier politique. "Quand on voit des gens dans le besoin, prêts à vivre du fruit de leur travail, sans aide de l’Etat, on ne peut que se sentir humainement obligé de les aider", explique-t-elle en rappelant que sa commune a déjà caché des enfants juifs pendant la seconde guerre mondiale.
Cécile Bir, mère de famille et présidente de l’association nantaise Enfants étrangers-Citoyens solidaires, confirme : "On voit se mobiliser des parents d’élèves d’origines culturelle et sociale très diverses, et de tous bords." Aux yeux de tous, le sans-papiers cesse brutalement de relever du mythe inquiétant du "clandestin", rituellement invoqué par les politiques, pour prendre le visage de ces gamins qui partagent les mêmes préoccupations, les mêmes joies que leurs enfants. "Sur l’immigration on peut tenir des propos généraux, mais quand cela concerne un enfant, cela change tout", dit Cécile Bir.
Mère de trois enfants, Valérie Tranchand n’avait jusqu’alors jamais milité. Par deux fois, elle a pris sous son aile un "enfant caché" de l’école Victor-Hugo. Désobéissance civile ? "On doit respecter la loi, mais pas n’importe quelle loi. On peut être amené à désobéir à des lois injustes", a-t-elle expliqué à ses enfants. "En agissant ainsi, dit Valérie Tranchand, j’ai eu le sentiment de réagir comme lorsque j’aide une personne tombée dans la rue. Je n’ai pas tout d’un coup eu le sentiment d’être une révolutionnaire, mais simplement de suivre ma conscience."
Laetitia Van Eeckhout
Article paru dans l’édition du 18.06.06