Le dernier numéro de l’hebdomadaire « La Vie » dont nous avions rencontré la semaine dernière les journalistes, consacre sa une et un dossier très complet de 8 pages à la situation des enfants menacés d’expulsion après le 30 juin 2006.
Deux pages sont consacrées à la situation nantaise en particulier autour du dispositif d’accueil de familles déboutées du droit d’asile orchestré par l’association œcuménique « L’accueil d’abord ».
Sinon, le Monde daté du 15 juin propose un long portrait signé Laetitia Van Eecckout d'une famille de l’école Stalingrad autour de laquelle est né notre Collectif il y a déjà deux ans et demi. Le voici :
Le Monde : (Eclairage) La famille Avakian veut espérer mais craint la désillusion
http://www.lemonde.fr/web/article/0...
LE MONDE | 14.06.06 | 11h26
NANTES ENVOYÉE SPÉCIALE
Karina Avakian est lasse. Lasse de vivre dans l’angoisse, de passer d’espoirs en désillusions, de savoir l’avenir de sa famille hypothéqué, suspendu à une décision administrative. Il y a deux mois, Karina, Edouard et leurs deux fils, Joseph et Sarkis, ont emménagé dans un appartement mis à leur disposition par l’association nantaise L’accueil d’abord. Mais ce rêve, après quatre ans passés à vivre entre la rue et des chambres d’hôtel, a été anéanti, le 29 mai, par un courrier de la préfecture de Loire-Atlantique proposant un aide au retour. Une aide qui ne représente rien d’autre, pour Karina Avakian, que la confirmation de l’intention de l’Etat français de les renvoyer, elle et les siens, vers leur pays d’origine, l’Azerbaïdjan.
Karina et Edouard Avakian sont "protégés" jusqu’à la fin du mois de juin par la scolarité de leurs enfants. L’annonce par Nicolas Sarkozy de la régularisation de 720 familles de sans-papiers, le 6 juin, a laissé la jeune femme sans voix. Ni Joseph ni Sarkis ne sont nés en France. Mais ils y sont arrivés avant l’âge de 13 ans. Correspondront-ils, au yeux du préfet de Loire-Atlantique, aux critères définis par le ministère de l’intérieur ? Incertitude encore.
"POURQUOI PAS NOUS ?"
Cela fait dix-huit ans que dure l’errance du couple. En 1988, Karina et Edouard Avakian, azéris d’origine arménienne, sont contraints de quitter leur pays natal après le déclenchement du conflit avec l’Arménie. En 1993, ils doivent fuir l’Arménie pour l’Ukraine, Edouard Avakian refusant d’être enrôlé dans l’armée pour combattre l’Azerbaïdjan. Six ans plus tard, persécutions et rackets les amènent à nouveau à s’exiler, en France cette fois. Le 2 avril 2002, ils arrivent à Nantes, avec leurs garçons, alors âgés de 9 et 6 ans.
Déboutés du droit d’asile, Karina et Edouard Avakian, 36 ans tous deux, ont tenté tous les recours possibles. En vain : le 19 avril 2004, le tribunal administratif de Nantes a confirmé le rejet par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) de leur demande de réexamen de dossier. Pétition, courriers adressés au préfet par les parents d’élèves de l’école de leurs fils : le préfet est resté inflexible.
"Pourquoi pas nous ?, interroge Karina Avakian. Nous n’avons rien fait de mal. C’est juste pour que nos enfants aient un avenir que nous sommes venus." Dès leur arrivée, elle a tout fait, malgré des conditions de vie précaires, pour que Joseph et Sarkis s’intègrent et aient une vie normale. Elle les a inscrits à la bibliothèque, au centre de loisirs, à des cours de sport, et prend plaisir - d’autant qu’elle est institutrice de formation - à accompagner les sorties de classe. "Dès qu’il y a un projet de sortie, mes copains me demandent si ma mère nous accompagne", raconte fièrement Sarkis, 10 ans.
Joseph a rattrapé son retard scolaire : intégré à son arrivée dans une classe de cours préparatoire, il est entré en septembre 2004, comme tous les enfants de son âge, en classe de sixième. Parlant aujourd’hui aussi bien le français que ses camarades, il rêve "d’un avenir simple", qu’il n’imagine pas ailleurs qu’en France. "D’un matelas tout sale, on est passé à une vraie chambre, on a fait pas mal de chemin. Il ne nous manque plus que des papiers et l’on sera une famille comme les autres", dit-il. Il ne se sent "pas différent" de ses copains.
La famille vit des 400 euros mensuels d’aide à la subsistance versés par le conseil général de Loire-Atlantique aux déboutés du droit d’asile, et de ce que réussit à gagner le père, régulièrement sollicité par des particuliers pour ses talents d’ébéniste.
Ce sujet, Karina Avakian, rongée par la honte de vivre au crochet des autres, ose à peine l’évoquer. Son mari serait pourtant certain d’obtenir un véritable emploi s’il était régularisé. L’Atelier Madec, une entreprise nantaise de menuiserie, lui a déjà fait une proposition ferme d’embauche.
Laetitia Van Eeckhout